L'Echo de l'Ouest

L'Echo de l'Ouest.
Article du 4 décembre 2009 signé par Etienne SENGEGERA qui résume parfaitement le contenu de la soirée débat
L’Écho de l’Ouest 4 décembre 2009
JOURNÉES NATIONALES DES PRISONS
Les conditions de vie des détenus en débat à La Roche-sur-Yon
« Mettons un peu d’humanité derrière les barreaux », ont plaidé, en chœur et chacun avec sa note à lui, les trois intervenants invités le 27 novembre à La Roche-sur-Yon pour une soirée-débat proposée pour sensibiliser le public sur l’enfer qu’est devenu le monde carcéral. Même Nicolas Sarkozy reconnaît que « nos prisons sont la honte de la République », a relevé le docteur Louis Albrand, expert attitré.
« La citoyenneté ne s’arrête pas aux portes des prisons! » C’est vrai, théoriquement. Qu’en est-il, dans la réalité et dans la vie quotidienne des détenus ? Témoignages à l’appui, le constat établi dans le cadre de la soirée-débat organisée le 27 novembre à La Roche-sur-Yon est accablant, révélateur d’une situation douloureusement antinomique du principe affirmé. « Le respect de la dignité humaine du détenu relève du vœu pieux », est-on forcé de relever après avoir entendu, pendant deux tours d’horloge, ce qu’en disent trois témoins invités pour parler de la citoyenneté dans le monde carcéral.
La référence à la citoyenneté (dont les détenus ne devraient pas être exclus) servait de thème pour les journées nationales des prisons, seizième édition, organisées du 23 au 29 novembre par le GNCP (Groupe national de concertation prison). Ce groupe est constitué de représentants d’associations et aumôneries de prison, pour des échanges autour de préoccupations communes concernant l’univers carcéral.
Fort de la diversité et de l’action de terrain de ses membres sur l’ensemble du territoire national, le GNCP approfondit la réflexion et se positionne sur certains sujets d’actualité, afin de mener « une action citoyenne commune relayée à l’échelon local par l’ensemble de ses réseaux ».
Chaque année, depuis seize ans, le groupe organise dans la dernière semaine du mois de novembre les journées nationales prison (JNP) destinées à sensibiliser l’opinion publique sur un thème correspondant à l’une de ses préoccupations majeures.
C’est dans ce cadre que le Collectif prisons de Vendée - formé par des associations (Ligue des droits de l’homme, Croix-Rouge, Association des visiteurs de prison) ainsi que par le Secours catholique, les aumôneries (catholiques, protestantes et musulmanes) des maisons d’arrêt de La Roche-sur-Yon et Fontenay-le-Comte - organisait la soirée-débat du 27 novembre. Le public a été très nombreux au rendez-vous, dans l’amphithéâtre Réaumur de l’Icam, école d’ingénieurs, juste à côté de la maison d’arrêt de La Roche-sur-Yon.
Trois invités étaient également au rendez-vous : le très médiatique Guy Gilbert, prêtre éducateur, que l’on disait « curé des loubards » et qui se présentait comme « le curé de la racaille » ; Olivier Blanchard, élu municipal aux Herbiers et responsable de la communauté Emmaüs des Essarts ; Louis Albrand, gériatre et médecin humanitaire, auteur d’un récent rapport sur la prévention des suicides en prison. Estimant que ce rapport avait été édulcoré par l’administration pénitentiaire, le Dr Albrand n’avait pas hésité, le 2 avril, à boycotter sa présentation à Rachida Dati, à l’époque ministre de la Justice et garde des sceaux… C’est dire s’il milite activement pour l’humanisation de l’univers carcéral.
C’est par son témoignage, éclairant, qu’a démarré la soirée animée par le directeur départemental du quotidien Ouest-France jouant les Monsieur Loyal pour l’occasion.
« Même le président Sarkozy qualifie de « honte de la République » les prisons françaises où le nombre de suicides est le plus élevé d’Europe », assène Louis Albrand. Chiffres à l’appui - « 25 gardiens de prison se sont suicidés cette année, ce qui en dit long sur la détresse qui règne dans ce milieu ; 120 jeunes détenus de moins de trente ans se suicident chaque année, la plupart en détention préventive » -, il décrit un univers dans lequel, affirme-t-il, « la citoyenneté, le respect de la dignité humaine, s’arrêtent aux portes des prisons ».
On est toujours plus grand que nos fautes.
Le Dr Albrand parle de surpeuplement : quatre détenus jetés dans des cellules conçues au départ pour un seul ; 52.000 places pour 62.000 personnes… On n’est certes pas dans les geôles du président Paul Kagame, l’homme fort du Rwanda dont le pays bat des records dans ce domaine, mais la France doit-elle entrer dans la compétition des moins-disants en matière de respect des droits de l’homme ?
« Dans notre pays, poursuit le Dr Albrand, de droite comme de gauche, les gouvernements successifs ont négligé, délaissé les prisons. Elles sont devenues comme un monde de non droits, à l’aune du respect de la dignité humaine. Pour la plupart, il faudrait les fermer et en construire de nouvelles, en nous inspirant de ce que font nos voisins dans ce domaine. »
L’expert qui ne s’en laisse pas conter estime qu’il faudrait construire de petites prisons destinées à accueillir dans des conditions d’incarcération décentes les « 85 % des détenus qui sont condamnés à des peines de moins d’un an ». Pour lui, ils devraient être séparés
de ceux qui ont à purger de longues peines, au lieu de mélanger comme aujourd’hui toutes les catégories avec « le risque de continuer ainsi à hypothéquer les chances de réinsertion à la sortie ».
À cet égard, le Dr Albrand souligne que le taux de retour à la case prison est de 70 %. Et d’ajouter : « Une proportion significative de détenus (20 %) se retrouvent sans rien le jour de leur libération. En prison, 60 % des détenus sont des chômeurs, dans une très grande pauvreté, et n’ont pas de quoi cantiner… »
En insistant sur l’objectif de travailler à la réinsertion des détenus dans la perspective de leur sortie ainsi qu’à assurer des conditions de détention qui permettent de redorer à cet égard le blason de la République, il note que Nicolas Sarkozy a promis 13. 000 places supplémentaires à l’horizon 2011. Il prône l’option de tout remettre à plat, avec le courage d’engager vraiment la réflexion sur l’état des prisons en France. « Mais, dénonce le médecin, l’État rechigne à mettre de l’argent dans les prisons. Quand il était Premier ministre, Édouard Balladur affirmait que l’opinion publique ne comprendrait pas que les prisonniers puissent vivre mieux que les plus pauvres des Français ! »
Réagissant au quart de tour, le père Guy Gilbert s’insurge : « Nous sommes un peuple moyenâgeux ! Cette pression populaire relève de l’obscurantisme. Il y aurait moins de récidives et de retours en tôle si on permettait à ceux qui y sont de vivre décemment. Vous savez, la prison est un monde dégueulasse, infâme : la promiscuité, la drogue. Toutes les drogues y rentrent par tous les moyens. La prison française, c’est l’enfer, un immense scandale… » Par décence, on vous épargne les expressions « fleuries » dont « le curé de la
racaille », prêtre éducateur au cœur tendre, émaille sa description des conditions de détention.
Le prêtre qui affirme que « l’on est toujours plus grand que ses fautes » relève que les détenus n’hésitent plus à porter plainte pour dénoncer « des conditions de détention indignes, infamantes où ils sont traités pire que des bêtes ».
De fait, la prison interroge la société qui se trouve, par elle et en elle, confrontée à sa propre marginalité. « Du fait de la transgression des règles établies, par le délit ou le crime, la prison représente un point de rupture : rupture entre la société et les sujets dont elle est
composée, rupture du contrat social, rupture de l’expression d’une citoyenneté. Il convient alors de s’interroger sur l’appartenance des personnes détenues à la collectivité », analyse un argumentaire du GNCP.
Le lien vital entre le détenu et la société.
Et de rappeler que, jusqu’en 1854, « la mort civile » pouvait être prononcée comme une peine supplémentaire
pour les personnes condamnées à la perpétuité ou à la peine capitale. Elle consistait en l’extinction générale des droits civils. En 1855, la loi sur la relégation crée « l’internement perpétuel sur le territoire des colonies ou possessions françaises » pour les délinquants et
criminels multirécidivistes : ils ne pouvaient plus jouir de leurs droits civiques et étaient forcés de quitter le territoire national. Plus d’un siècle plus tard, en 1970, la relégation est abolie et est instituée la tutelle pénale pour les récidivistes, qui sera abrogée par Robert
Badinter en 1981 après l’accession de la gauche au pouvoir.
De cette évolution enregistrée sur le plan juridique émerge un questionnement qui reste d’actualité : les personnes détenues restent-elles des citoyens à part entière ou sont-ils des citoyens entièrement à part ?
La conviction des associations qui se préoccupent de ce que vivent et subissent les détenus et leurs proches estiment que la prison qui reste était un
symbole de rupture entre l’homme et la société « nécessite le maintien du lien vital entre celui qui est puni et le reste de la société ». Pour ces associations, « la prison doit donner un autre sens, une autre direction, à la peine, un horizon tourné vers la collectivité, car chaque
individu est lié par son existence même à la société, car chaque homme naît citoyen. Par conséquent, si la prison doit être pensée comme une sanction nécessaire, elle ne doit pas pour autant détacher les personnes détenues des autres citoyens, puisqu’ils sont amenés
à se retrouver. »
En effet, depuis 1981 et l’abolition de la peine capitale en France, toute personne condamnée dans ce pays est destinée à sortir tôt ou tard de prison. Comme tout un chacun, « c’est une personne en devenir ». « Il est donc dans l’intérêt du détenu et de la société de préparer cette sortie, en faisant en sorte que chaque détention soit gérée de manière à faciliter la réintégration dans la société pour les personnes temporairement
privées de liberté », plaident les mêmes associations.
Elles déplorent que près de 54 % des personnes détenues « soient sans diplôme », que « sur plus de 8 500 personnes qui sortent de prison chaque année, 10 % ne disposent pas de solution d’hébergement pérenne », que « 35 % de la population sous écrou vit sans ressources suffisantes » et que de nombreuses personnes détenues vivent 22 heures sur 24 en cellule, dans l’oisiveté la plus totale.
Question : dans ces conditions, face à ces réalités, comment maintenir ou développer le lien entre la société et les personnes détenues ? Comment faire de la prison « un temps utile et non pas un temps mort » ?
Poser cette question, c’est faire en sorte que les conditions de vie faites aux détenus interpellent la société, pour lui rappeler ses valeurs fondatrices. « La prison, estiment les experts, est un reflet altéré mais nécessaire des différentes évolutions constitutives de nos murs et de nos institutions. Ces interrogations, il nous faut les saisir et les révéler. »
Ne pas faire de la détention une mort sociale.
Tel était l’objectif du débat où, le 27 novembre à La Roche-sur-Yon, où le responsable de la communauté Emmaüs des Essarts a souligné que « la prison devrait être un lieu de reconstruction, de renaissance, et non pas un lieu de mort ». La mort sur le plan social, mais la mort aussi parfois synonyme de décès, à l’instar des suicides évoqués dans le témoignage du Dr Albrand.
Dans le public, ce soir-là, un ancien détenu, la voix parfois étranglée par une émotion perceptible, a évoqué ses nuits de peur et sa révolte : « J’étais confiné dans une cellule que nous partagions à trois. J’ai été malmené par d’autres détenus. Accusé de viol, j’ai fini par être innocenté, mais je n’ai pas eu droit à la présomption d’innocence. Traité pire qu’une bête, j’ai vécu un véritable enfer. Je ne comprends pas que l’on enferme des assassins récidivistes avec des gens qui n’ont pas compris pourquoi ils sont en prison… J’ai souvent pensé au suicide. Si j’ai pu tenir, c’est grâce au soutien de ma femme. La prison, il y en
a qui en ont besoin, mais d’autres pas du tout. »
Derrière chaque coupable incarcéré, il y a une ou des victimes. Des victimes qui, elles aussi, mettront du temps pour se reconstruire. « Dans le cas de délits mineurs, qui constituent la grande majorité, il faudrait mettre le coupable face à sa victime, faire en sorte qu’il demande
pardon et qu’il puisse la dédommager », plaide Guy Gilbert. Intraitable pour ceux qui se rendent coupables de « choses horribles et de crimes affreux », il soutient la nécessité de « mettre de l’humain et de l’éducatif » derrière les barreaux.
Même si, aujourd’hui, « on est plutôt dans le sécuritaire et le répressif à outrance », certaines pratiques tendent à aller dans le sens de cette humanisation souhaitable, notamment l’aménagement des peines et le recours au bracelet électronique comme alternative à la détention.
« Aider quelqu’un à reprendre pied dans la société, à se reconstruire, cela fait partie de l’acte constitutif du mouvement Emmaüs. Prison et pauvreté sont souvent liées. Quand quelqu’un sort de prison sans le moindre sou, il est en danger de récidive. Dans une communauté Emmaüs, on l’accueille, on l’aide à se reconstruire, à trouver ses marques et ses repères par le travail. Aucun ancien détenu accueilli à Emmaüs ne retourne en prison », affirme Olivier Blanchard.
Prêchant la miséricorde pour ceux qui ont trébuché ou sont carrément tombés, le père Guy Gilbert a souligné qu’il faudrait que la prison cesse d’être, pour des jeunes, « l’université de la délinquance et de la violence ». Le prêtre éducateur qui a fondé, il y a 35 ans, une association pour s’occuper des jeunes en panne de repères revendique : « Ma
première évangélisation, aujourd’hui, c’est de donner du travail à ces jeunes capables du pire ou du meilleur, car tout dépend des adultes autour d’eux. Dans chaque cœur, il y a toujours du cristal. Il faut passer par leurs manques pour leur permettre de vivre leurs rêves, bâtir et faire avec eux. »
Ce qu’il s’attache à faire auprès de « la racaille » - terme qu’il lance sur un ton qui gomme tout ce qu’il aurait de méprisant venant de tout autre que lui -, il invite à le faire pour aider les personnes en détention à se libérer du « marquage social terrible » que dessine sur eux le fait d’aller en prison.
« Va de temps en temps en prison, mon pote », a-t-il lancé à son adresse après avoir repéré dans le public Jean-Yves Daviaud, conseiller municipal délégué à la prévention, à la médiation et à la tranquillité publique à La Roche sur-Yon. Une interpellation destinée à souligner la nécessité de créer et maintenir le lien entre la société du dehors et du dedans. Pour que la citoyenneté ne s’arrête pas aux portes des prisons.
Étienne SENGEGERA
Amener la société à changer de regard
Bernard Charrier évoquant l’action du Collectif prisons et la situation dans les deux
maisons d’arrêt de Vendée, « les plus surpeuplées du pays ».
La soirée-débat proposée à La Roche-sur-Yon sur le thème de la citoyenneté des détenus a été pour Bernard Charrier, coordinateur du collectif qui l’organisait, l’occasion d’évoquer d’abord l’action des associations qui forment ce collectif.
Leurs bénévoles sont sur le terrain, tout au long de l’année, intervenant notamment dans les établissements scolaires, dans les stages de citoyenneté pour mineurs en lien avec la
Protection judiciaire de la jeunesse, accueillant les familles en attente de parloir venant visiter leurs proches en détention, assurant une aide aux incarcérés démunis et aux détenus indigents à qui ils apportent des vêtements, des cadeaux (à Noël et à Pâques), animant
des ateliers d’art plastique et d’écriture. Plus important, ils se préoccupent d’établir « une relation humaine avec les personnes détenues ».
« Nous nous attachons également, ajoute Bernard Charrier, à informer et sensibiliser le public sur ce monde multiforme et si méconnu qu’est le monde carcéral… Nous qui entrons dans la prison, nous y allons pour créer un lien entre le dedans et le dehors… »
Les deux maisons d’arrêt de la Vendée sont les plus surpeuplées de France. Pour celle de La Roche-sur-Yon, Bernard Charrier fait « le même constat que l’an dernier : trente cellules, quarante places en théorie, mais plus de 100 personnes incarcérées. Une cellule, c’est 9 mètres carrés avec trois détenus (voire quatre avec un matelas par terre le soir), la promiscuité, des toilettes dans cet espace réduit où l’on reste enfermé 22 heures sur 24… »
Décor similaire, à Fontenay-le-Comte, dans le contexte d’une situation qui tend à s’aggraver « dans la constance de l’indignité carcérale » - pour citer l’ancien garde des sceaux Robert Badinter.
« Pour le placement en cellule individuelle, la Charte pénitentiaire européenne pourra-t-elle s’appliquer un jour », demande Bernard Charrier. Il concède que l’administration pénitentiaire « essaie de gérer au mieux l’impossible ». Et d’applaudir à quelques avancées que constituent, à la maison d’arrêt de La Roche : l’accès au téléphone pour les condamnés, la séparation entre les prévenus et les condamnés, une cellule avec douche pour les nouveaux arrivants…
Comment maintenir le lien entre la société et les personnes détenues et faire de la prison un temps utile et non pas un temps mort ? Le militant associatif note que la question est certes difficile et complexe, mais en même temps « très importante pour notre société ».
« Si être en prison ce n’est pas perdre sa qualité de citoyen, c’est sûrement ne pas pouvoir être citoyen comme les autres, ajoute-t-il, la privation de liberté ne saurait être considérée
comme la privation de l’accès aux droits. »
Le collectif entend continuer à enrichir la réflexion et à sensibiliser le public pour modifier progressivement le regard de la société sur le monde carcéral « auquel chacun peut être confronté un jour ou l’autre ».
Avec une pensée pour les quelque 2.300 femmes placées en détention en France, Bernard Charrier cite l’une d’entre elles : « Pour moi, me reconnaître en tant que citoyenne quand je suis en prison, c’est m’accorder le droit de réclamer mes droits sans avoir peur des répressions. »
Étienne Sengegera